L'esprit français
Si j'essayais, en quelques mots simples, de définir ce qui caractérise le plus spécifiquement l'esprit français, voici ce que je dirais.
Ce n'est pas l'humour un peu cocasse des anglo-saxons.
Ce n'est pas non plus cette grosse gaudriole appelée - allez savoir pourquoi - la "gauloiserie", comme si c'était les romains qui l'avaient nommée ainsi par dérision, ou comme si ( hypothèse plus grave encore ), les gaulois vaincus avaient ainsi traduit leur totale soumission au colonisateur romain.
Non, l'esprit français, est ce lointain héritier des grecs et des latins, lentement forgé au cours des siècles, et qui a connu quelques grands moments depuis le XIIe siècle. On se moque de l'arrogant coq gaulois, mais on oublie trop la ruse de Goupil le Renard, et la malice de Maître Pathelin.
C'est l'esprit malicieux du peuple de France, amoureux sans illusion de la vie, douce et pathétique à la fois, poli par les génies de Marot, Rabelais, La Fontaine, Madame de Sévigné, Molière, La Rochefoucauld, Fontenelle, Voltaire, Musset, Daumier, Flaubert, Feydeau, Guitry, Céline, Audiard...
C'est un mélange de réalisme, d'amour lucide de la vie, de philosophie, de comique du tragique, d'aimable dérision, avec, en prime, le goût du beau langage et de la formule cinglante.
A travers lui, le meilleur de la Nation Française s'exprime, et parle à ceux qui en partagent les connaissances et les valeurs : liberté, méfiance à l'égard des " bons sentiments ", sens du ridicule, rejet de la cuistrerie et des dogmes politiques ou religieux.
On comprend que ceux que cet esprit dérange dans leurs projets, aient sapé avec méthode ce qui en était le substrat : les humanités gréco-latines et la culture classique, et s'acharnent à présent à en effacer les dernières traces en massacrant notre langue et en interdisant, sous peine d'infâmie ou de procès pénaux, de rire de tout ce qui est risible.
Car cet esprit ravageur est l'ennemi de " l'esprit de sérieux " de tous les dictateurs, les gourous, les fanatiques de tous poils, que leur fond de commerce soit religieux ou climatique.
L'esprit, les maximes morales, les bons mots sont profondément sérieux parce qu'ils tournent en bourrique ceux qui se prennent au sérieux, qu'ils démasquent les tartuffes et percent les baudruches.
Le devoir de tout français est d'entretenir cet esprit comme le plus précieux des biens nationaux.
Le patrimoine n'est pas constitué que de vieilles pierres et de paysages. Sans l'esprit qui les a façonnés, ils ne sont plus que de tristes coquilles vides.
Soyons les gardiens vigilants et sourcilleux de ce qui fait de nous les locuteurs de ce que certains fous de dieu, ennemis du rire libérateur, appellent " la langue de Satan " (*), et souvenons nous toujours de ce mot du grand écrivain :
« Je me hâte de rire de tout, de peur d'avoir à en pleurer.»
(*) Lisez, à ce propos, les dernières pages de dernier livre d'Eric Zemmour, Mélancolie Française, paru chez Fayard-Denoël.