posté le 09-12-2010 à 09:10:56
Combat d' éducatrices...
Je publie intégralement un échange de courriels entre une professeure ( hélas, c'est comme cela qu'on doit dire à présent ) et son inspectrice.
Personnellement, je n'ai jamais été impressionné particulièrement par l'Inspection, Régionale ou Nationale; j'ai eu l'occasion dans mon petit ouvrage paru en 1996, Tableau Noir, de dire mon sentiment sur ses méthodes et ses missions; il n'était pas exactement amène.
Cependant il y a dans cet échange une telle violence, un tel manque de respect pour la hiérarchie et pour la fonction que j'y vois un signe de la déliquescence de notre système éducatif et de notre société.
Depuis hier, on nous assomme avec des statistiques internationales, dont les médias raffolent, et qui placent la France en position médiocre sur le plan de l'Education.
Ces chiffres sont plus que sujets à caution, car les critères de tel ou tel pays ne sont pas valables pour tel autre.
Mais l'échange que je publie, lui, pourrait bien être une clé autrement intéressante pour comprendre - du moins en partie - l'origine du malaise de l'Ecole de France: la crise profonde de l'autorité.
NB : cette correspondance est à lire de bas en haut, pour en respecter la chronologie.
J'ai effacé les noms propres afin de garder à cet article toute sa dignité et ne pas blesser les personnes.
Message du 10/12/10 de l'IPR
Madame,
L'oeuvre Le Comte de Monte Cristo a été proposée par un professeur de collège. D'autres professeurs, de collège et de lycée, se sont montrés intéressés. Je n'ai pas désapprouvé ce choix qui, encore aujourd'hui, me paraît parfaitement adapté. Mais je n'étais pas dans les établissements, parmi les équipes qui ont sélectionné ce roman, c'est-à-dire la majorité de celles qui m'ont fait connaître leur avis, après avoir lu, relu, discuté...
Je ne vous permets pas de balayer leur travail.
Maintenant il suffit : gardez vos mauvaises pensées pour vous.
Message du 09/12/10 de la professeure
Faux, tout le monde ne l'a pas reçue. Ma messagerie fonctionne parfaitement.
Je ne jette en aucun cas "l'opprobre" sur le travail de mes collègues et vous interprétez étrangement mon mail.
Chacun sait qu'il s'agit de vos choix et c'est pour cela que vous réagissez de cette manière. Pour ce qui est des Notre-Dame de Paris, il me semble que cette oeuvre présentait quand même d'autres attraits pour les élèves de troisième.
Je suis très etonnée de votre silence quant à l'écart entre les oeuvres choisies cette année et le monde de nos adolescents . Si les professeurs de français ont la réputation d'être passéistes , c'est parce qu'on leur impose , d'une manière détournée, des oeuvres qui ont mal vieilli, et donc par définition pas des chefs -d'oeuvres.
Bonne retraite , madame
Message du 08/12/10 de l'IPR
Les autres professeurs l'avaient reçue... Vous seule pouvez régler votre messagerie.
Je vous serais très obligée si, à l'avenir, vous vouliez bien vous informer avant de jeter l'opprobre sur le travail accompli par vos collègues. Vous avez dû constater que la lecture du roman Notre-Dame de Paris a été suivie d'une évaluation dont les résultats sont honorables. Pourquoi n'en serait-il pas de même avec Le Comte de Monte Cristo ?
Bien évidemment la liste d'oeuvres était restreinte, dix jours de vacances ne permettent pas de lire ou relire un grand nombre d'ouvrages.
Message du/07/12/10 de la professeure
Merci pour votre envoi, mais je ne l'avais jamais reçu auparavant.
La liste des ouvrages etait malgré tout assez restreinte.
Message du 06/12/10 11:07 de l'IPR (inspectrice pédagogique régionale )
Vérifiez, verifiez, Madame : je vous transfère le message envoyé le 31 octobre 2010. Vous êtes bien dans la liste des destinataires. De plus votre établissement a reçu le même message à la même date. Vous disposiez donc de deux canaux d'information.
Commentaires
Oh comme je suis d'accord ! Nous sommes envahis !
L'émotion, le pathos, "les auditeurs ont la parole", les "réagissez !", les "coups de coeur", le COEUR en bandoulière (suivez mon regard ).
Toute la panoplie des c...décérébrés et aculturés.
Je n'avais pas mesuré, avant que vous la mettiez en lumière, la dimension émotionnelle du "dialogue" entre les deux dames. Mais de fait, lorsque le pathos l'emporte sur le logos, on n'est plus très loin du primitivisme et de la barbarie.
à Ben dis donc :
Puisqu'il s'agit d'une fiction dans laquelle on pourrait juger l'arbre à ses fruits, ne trouvez-vous pas que j'aurais été bien vaniteux de m'y attribuer un beau rôle ? Merci d'avoir complété la fiction jusqu'à la retraite !
à Frank Thomas :
N’étant ni élève, ni enseignant, ni parent, il m’était un peu trop facile d’ironiser sur la querelle byzantine que vous publiez. Bien évidemment et plus sérieusement, dans la mesure où l’étude de tel ouvrage – sur laquelle repose une notation déterminante dans le parcours des élèves – a été arrêtée en amont et après concertation, il est parfaitement inopportun de la remettre en cause, même et surtout en invoquant l’intérêt pédagogique. Je remarque principalement que si l’enseignante argumente alors qu’il n’est plus temps et réplique par des propos aigres, c’est qu’elle se sent légitimée à la faire. Le « Vérifiez, vérifiez, Madame » initial – là où « Veuillez vérifier » aurait suffi – l’y encourage-t-il ? Pour autant, je me garde bien de porter de jugement sur les personnes (dont je ne sais que ce que leur bref échange veut bien révéler) et qui m’apparaissent plutôt ici comme des personnages échangeant sur un mode émotionnel inapproprié dans la circonstance, qu’au demeurant ils ne maîtrisent pas et où ils s’engluent. Ce mode d’échange est devenu hélas assez répandu, au sein des familles et jusque dans l’Etat. Comment cependant, lorsqu’on exerce un commandement quel qu’il soit (mon jargon militaire était à dessein) peut-on susciter ou même simplement autoriser une familiarité et puis, les situations devenant ingérables, se retrancher derrière un statut hiérarchique ? C’est le choc en retour de la démagogie ambiante. Cette place extravagante que notre société accorde à un émotionnel livré à lui-même, sans que personne se préoccupe le moins du monde de sa qualité (« Que d’émotion ! » et l’on a tout dit), me semble en effet un signe de décadence ou alors, quand cet émotionnel est manipulé, un signe de totalitarisme – celui-ci suivant bien souvent celle-là.
Si monsieur Molla avait un grand fils de 17 ans en troisième, je dirais : "ben dis donc, il n'est pas précoce, le petit bonhomme...Il ne passera pas son bac avant 20 ans, à condition qu'il ne redouble pas... Il usera ses fonds de culotte à la fac jusqu'à 30 ans.... Il n'est pas prêt d'avoir sa retraite à taux plein celui-là..."
Juste une précision, cher Hervé Molla, en vous remerciant pour vos commentaires.
La question qui se pose sur un plan pratique est bien de choisir entre ces deux livres.
Il s'agit en effet de donner à lire un livre ( et un seul ) aux élèves de fin de troisième, des collégiens donc, en vue d'une évaluation de leur niveau à l'entrée en seconde, au lycée.
Ainsi c'est bien sur la "valeur" respective entre ces deux romans sur un plan pédagogique ( je veux dire sur les possibilités d'évaluation de compréhension, d'analyse, etc. offertes par ce livre) que le choix doit porter. Le débat n'est donc pas vain.
En publiant cet échange je voulais surtout, vous l'avez bien compris, mettre en exergue deux phénomènes.
D'abord la dégradation des rapports entre les personnels d'un même corps.
Ensuite les discussions sur des futilités alors que la situation est grave, ce qui n'est pas sans rappeler les débats byzantins sur le sexe des anges pendant que les ottomans étaient aux portes de la ville.
Deux symptomes de décadence, me semble-t-il.
Cet échange épistolaire m’apparaît bien confus et, si j’avais un grand fils de 17 ans en 3e (« un diamant brut » en quelque sorte, comme dirait sa mère) fréquentant le collège en question, je serais bien embarrassé pour savoir s’il doit lire Notre-Dame de Paris ou le Comte de Monte-Cristo. Mais pas les deux ; j’ai bien retenu cela. Ne pas dépasser la dose prescrite ! Il me semble que cet échange, qui aurait dû s’établir de manière professionnelle, fonctionne au contraire (ou plutôt dysfonctionne) sur le mode émotionnel. Le professeur (vieux genre) est au bord de la crise de nerfs et l’IPR (nouveau style), poursuivant un objectif peu clair y compris pour elle-même, fait vainement « péter ses galons ». Quoi d’étonnant dans une société qui valorise l’émotion comme si elle était une vertu ?
Il appartient néanmoins à l’IPR, puisqu’elle prétend détenir une supériorité hiérarchique, de calmer le jeu. Aussi, puisque nous sommes le 9 décembre, que le dernier mail date du 10 et qu’il semble donc être encore temps, je vous conjure cher Monsieur de tout faire pour éviter un envoi qui risque de pourrir encore la situation, en suggérant plutôt quelque chose comme ceci : « Madame, Mettons de côté pour l’instant ce malentendu, je vous prie. Je réfléchis avec vous pour y remédier à l’avenir et vos propositions seront les bienvenues. Si vous avez commencé à faire étudier Notre-Dame de Paris à vos élèves, je suis persuadée que vous saurez, à cette occasion, leur donner le goût de lire également et à la suite le Comte de Monte-Cristo » (ou l’inverse). En espérant bien sûr que la prof, dans l’état où elle est, ne prenne pas cet arrangement pour un foutage de gueule ! Mais on peut risquer de faire crédit, non ?