Une exposition au musée d'art d'Avignon intitulée « Je crois aux miracles » scandalise l'évêque de la Cité des Papes.
Monseigneur Jean-Pierre Cattenoz, évêque d'Avignon, demande le retrait de l'exposition d'un cliché d'Andres Serrano datant de 1987, intitulé Chris Piss et représentant un crucifix plongé dans l'urine.
« Devant le côté odieux de ce cliché tout croyant est atteint au plus profond de sa foi», a déclaré l'évêque d'Avignon, Mgr Jean-Pierre Cattenoz, dans un communiqué. Le dignitaire catholique emboîte ainsi le pas à l'Institut Civitas qui a lancé en début de semaine une pétition pour exiger le «retrait de la photo blasphématoire».
Civitas, qui affirme sur son site web regrouper des «laïcs catholiques engagés dans l'instauration de la royauté sociale du Christ», revendique plus d'un demi-millier de signatures.
Quelle que soit l'impression que peut produire une oeuvre d'art, aussi choqué soit-on par son contenu qui peut, en effet, blesser les convictions et la sensiblité de tel ou tel, l'artiste doit être libre de tout dire et de tout montrer à l'exception de ce qui porte atteinte à l'honneur et à la vie de personnes physiques, mortes ou vivantes.
La croyance religieuse, l'appartenance politique, etc, n'entrent pas dans ce cadre.
Dans la mesure où cette oeuvre est exposée, si je ne m'abuse, dans un lieu clos et sans doute payant, je ne suis pas d'avis qu'il faille céder à la demande de l'évêque d''Avignon.
La chose serait fort différente, évidemment, et je serais d'accord avec lui, si la même photo était placardée sur la voie publique.
Les musulmans qui ont voulu interdire les caricatures de Mahomet ont eu la même réaction que notre évêque; celui-ci se comporte comme ses prédécesseurs si prompts à fulminer contre ce qui blessait les convenances, surtout religieuses, et tous ont eu tort.
Car si l'on s'engage dans cette voie, c'en sera bientôt fait de toute liberté d'expression, les limites du scandaleux étant relatives aux croyances et aux convictions de chacun.
Imaginons que Sade soit notre contemporain, jamais il n'aurait pu écrire, avec de tels censeurs, ce magnifique chapitre de la Philosophie dans le Boudoir : " Français encore un petit effort si vous voulez être républicains "; et bien des peintres de la Renaissance et des siècles suivants auraient dû ranger leurs pinceaux.
Que ceux que cette photo choquerait n'aillent tout simplement pas la voir, ou passent devant elle sans s'y arrêter.
L'artiste lance son chant d'amour, jette son cri d'angoisse, crache sa haine. Point.
Tout jugement moral sur son oeuvre est un inutile encombrement. Toute volonté de le faire entrer dans le jeu de l'utilité sociale, politique ou morale est un abus mortel pour l'art.
Il faut supporter d'être blessé dans ses choix et ses convictions les plus chers au nom du bien suprême : la liberté de créer.
A chaque fois qu'une société a voulu, pour d'excellentes raisons, s'écarter de cette attitude de tolérance, elle s'est dangereusement fourvoyée et a stérilisé la création.
Commentaires
Chrétien et artiste, je m’étonne que cette photo célèbre d’Andres Serrano, vieille de trois décennies (Frank Thomas rappelle justement qu’elle date de 1987) puisse faire encore scandale auprès de personnes qui semblent ainsi la découvrir. Puisque celles-ci semblent tout à coup se préoccuper d’art, « comme tout un chacun », l’approfondissement de leur réflexion à la suite de leur lecture fugace de cette photo (qui appartient désormais à l’histoire de l’art) me paraît plus urgente que leurs réactions indignées. Car c’est bien d’art (et donc d’artifice) dont il s’agit : une image ; et même une image d’une image d’une image, etc.
Saint-Julien de Brioude (où certains de mes parents, qui sans doute savaient lire les images un peu mieux que certains prélats d’aujourd’hui, furent chanoines) conserve la statue médiévale d’un Christ lépreux, assurément peu canonique, que le XIXe siècle saint-sulpicien et petit-bourgeois a épargnée. Je pardonne bien volontiers aux gentilles bonnes sœurs qui, depuis lors et jusque dans les seventies, se sont efforcées de massacrer en parfaite bonne conscience partout où elles en avaient l’occasion l’héritage artistique des grandes abbesses des siècles précédents, mais je suis navré qu’un évêque de ce qui fut la Cité de Papes réagisse comme une madame Michu.
Un malheur n’arrivant jamais seul, le grand galeriste Yvon Lambert (à laquelle appartient la photo incriminée) s’inquiétait dernièrement des conditions peu satisfaisantes dans lesquelles les autorités avignonnaises (civiles, cette fois) conservaient les œuvres léguées à sa Fondation !
Moi, je serais François Pinault, j’installerais mes collections … à Venise par exemple. En France, la guerre faite aux images, et même la drôle de guerre, a certains jours un avant-goût de taliban.