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Titre du blog : Le journal de Frank THOMAS
Auteur : Frank-Marie-THOMAS
Date de création : 20-09-2009
 
posté le 16-04-2011 à 08:51:44

Les journalistes : Jean Qui Rit et Jean Qui Pleure.

Sans doute tout le monde se souvient-il du sketch de Coluche dans lequel il disait, raillant le catastrophisme de la télévision : " un avion tombe, c'est sur les pompes à Roger Gicquel !" Cette morosité démocratique  les médias l'entretiennent, c'est leur carburant, ils en vivent.
Mais on a là, me semble-t-il, un paradoxe frappant.

 

 


 

Les médias tous supports confondus ont, entre autres, une fonction essentielle : stimuler l'envie de consommer et faire chauffer les moteurs de la production par le biais de la publicité.
On sait bien que cette envie de consommer repose d'une part sur des besoins artificiellement créés et entretenus et d'autre part sur une vision simpliste, édulcorée et optimisante d'un monde rassurant, heureux et coloré comme celui de la "ligne claire" de la bande dessinée.

Or ces mêmes médias distillent à longueur de journée leurs nouvelles qui, chacun le sait, ne sauraient être des nouvelles si elles étaient bonnes.
Trains qui déraillent, accidents, chômage, politiques corrompus ou incompétents, inflation, catastrophes naturelles et industrielles, crimes odieux, guerres, massacres, épidémies déferlent au domicile de chacun d'entre nous en flots continus.
L'habitant du petit village tranquille, de la ville ordonnée, propre et paisible a confusément l'impression que toute la crasse du monde est entrée dans son salon, que les flots noirs du tsunami engloutissent sa famille et sa vie, que l'assassin d'enfants est tapi au bout de son couloir et que sa purée est empoisonnée.
Il ne se passe rien dans sa rue, dans son quartier, dans son canton, mais il vote extrêmiste, parce qu'il a peur d'un monde détraqué.
Il est comme l'homme bien portant qui se sent envahi par toutes les maladies les plus cruelles à la lecture d'un dictionnaire de pathologie.

Les journalistes et les chroniqueurs d'une foule d'émissions coulées dans à peu près les mêmes moules, sont prompts à donner des leçons de cohérence aux politiques.
Mais sont-ils bien conscients eux-mêmes du trouble que suscite cette incohérence entre la joie factice de la pub, (sans parler des jeux de midi ou du soir, du mélange entre rire et sérieux dans les talk-shows, etc.) et la morosité dont ils ont pour mission de nous abreuver pour conserver leur crédibilité et maintenir leur part d'audience ?


Rire à 19h30, pleurer à 20h01 :

 qui est assez équilibré pour resister à un tel traitement ?

 

Commentaires

Hervé Molla le 16-04-2011 à 15:18:47
Encore une fois (j’ai eu de nombreuses fois l’occasion de l’écrire, y compris sur ce blog), c’est hélas l’émotionnel qui est convoqué, entretenu et valorisé au détriment de l’intelligence.

Quelques uns ont peut être en mémoire la publicité pour une voiture (Fiat Ibiza, je crois) promettant une « autoémoción » à celui qui s’en porterait acquéreur. La publicité est en effet dans son rôle d’utiliser les mécanismes pavloviens. Dans le domaine « de l’information » – et même parfois lorsqu’il est question « d’analyse » – chacun de nous n’a pas manqué d’entendre, cent fois rabâchés des commentaires tels que « nous vivons un moment d’intense émotion », « cette déclaration a déclenché une vive émotion », « l’émotion était palpable », etc. ; commentaires interchangeables qui peuvent s’appliquer aussi bien au fait divers, à la rencontre sportive, à l’événement politique local, national ou international. Le pompon revient toutefois à l’article de la presse locale qui prétend rendre compte (on ne peut évidemment pas parler de « critique ») d’une manifestation artistique. Juste avant le vin d’honneur (et de négociant) et les biscuits pour chiens, l’élu local en charge de la culture n’aura pas omis de relever dans son discours inaugural « l’émotion singulière », « extraordinaire », « toute particulière » (« aux choix » comme promet le restau chinois du coin) qui se dégage une fois encore, ici et maintenant, des œuvres exposées. « Emotion » qui sera relayée par le journaliste de service concluant ainsi son article du lendemain : « En somme, une œuvre toute d’émotion ». Le sculpteur, le photographe ou la peintresse boira du petit lait et se laissera peut être aller à « exprimer son émotion », à moins que celle-ci soit précisément si intense que l’artiste aura du « mal à l’exprimer ».

« L’émotion » du public n’en sera alors que plus grande ; au point qu’il le signalera sur le livre d’or, comme sur une main courante. Par la suite, l’artiste s’étonnera peut-être que son expo n’ait pas attiré les foules … C’est qu’en matière « d’émotion », l’information et la pub télévisuelles nous en donnent « much more » à chaque instant ; et qu’à lutter dans l’émotionnel, le mièvre ne fait pas le poids face au spectaculaire.

« La prochaine fois, je ferai un Piss Christ… ou bien un Transgender en burka dévorant un petit livre vert » se dit l’artiste désappointé. « Que d’émotion » en perspective dans les rédactions ! Mais d’intelligence dans les réactions, sans doute toujours point trop.

Pour répondre, cher Frank Thomas, à votre interrogation initiale, il me semble donc que, si le rire reste l’émotion la plus licite, l’intelligence se situe au-delà du rire et des larmes.