Andres Serrano devant Piss Christ vandalisé.
La photographie de l’artiste américain Andres Serrano, mettant en scène un crucifix trempé dans son urine, a été vandalisée dimanche dans les locaux de la collection d’art contemporain Yvon Lambert à Avignon (Vaucluse). J'y avais consacré un article il y a quelques jours, et Hervé Molla, fidèle lecteur de ce blog, l'avait prolongé d'un excellent commentaire. Je les mets en lien ci-dessous.
L’intégrisme, l'inculture et la bêtise ont encore frappé : l'oeuvre intitulée Immersion Piss Christ, ainsi qu’un autre cliché de l’artiste new-yorkais sous-titré Soeur Jeanne Myriam, ont été détériorées dimanche vers 11h30, peu après l’ouverture du musée, par deux visiteurs. Je le sentais venir, vu la violence des propos autour de cette oeuvre, y compris de la part de l'évêque d'Avignon.
Soeur Jeanne Myriam, photographie d'Andres Serrano.
Trois gardiens de l'exposition ont été menacés avec un pic à glace et des tournevis. Malgré ces violences, la direction a heureusement décidé de rouvrir en laissant les deux oeuvres saccagées en l'état, tandis que le ministre de la culture, Frédéric Mitterrand, condamnait fermement cette agression.
Eric Mézil, directeur de la collection a déclaré avoir été harcelé par des centaines d'appels téléphoniques et des courriels «injurieux».
Quant au propriétaire de la collection comprenant 350 oeuvres, Yves Lambert, il déclare : «Je suis persécuté au téléphone. J’ai reçu 30 000 mails, je n’exagère pas, 30 000 mails des intégristes (…) Cette ignorance, cette intolérance. C’est le Moyen-Age qui revient à grand-pas».
Je crains, hélas, qu'il n'ait que trop raison et que, si l'on continue sur cette voie, on ne puisse bientôt plus voir en France des caricatures comme celle qui est à la une de Charlie Hebdo cette semaine :
Commentaires
A Frank Thomas :
Oui, je suis un lecteur assidu, et j’espère attentif, de votre blog que je trouve éminemment français – chose qui se fait rare. Mon dernier commentaire n’était pas si pertinent. Il ne faisait que rappeler une vérité d’évidence (qui ne l’est cependant pas pour tout le monde) : alors que nous sommes baignés par les images, nous avons la prétention de croire que nous savons les lire. Nous pensons qu’elles sont univoques, telles les images publicitaires qui ne nous intiment que d’acheter.
A Mariane :
Ce ne sont pas le matériau ou le sujet qui font la valeur d’une œuvre artistique (c’est vrai aussi pour la littérature) mais bien la façon dont ils sont traités. S’agissant d’une production qui n’est pas du domaine des arts décoratifs ou d’agrément, il est moins question de « goût » que « d’intérêt » (intérêt que l’on peut bien sûr partager ou pas). Ainsi, Proust a pu écrire des pages admirables sur de petites fleurs blanches toutes simples à cinq pétales (les aubépines qui pour moi puent atrocement) alors que tel tâcheron servile aura eu l’inconscience et la vanité de traiter dans une barbouille à l’acrylique un sujet majeur (l’Holocauste par exemple).
Au demeurant, les photos de Serrano sont d’une grande beauté formelle.
A Yvon Lambert :
La connotation dépréciative attachée au terme de « Moyen Age » est à ranger au catalogue des idées reçues. Des « images non-conformes » ont été abondamment détruites dans tous les temps : en pleine Renaissance, ou en épilogue (provisoire) aux Lumières. Aujourd’hui, il arrive aussi que soient brûlées des bibliothèques et des écoles maternelles.
Le choix de continuer à présenter les œuvres mutilées est une action artistique pleine de sens.
Aux crétins qui ont vandalisé le « Piss Christ » (et qui, ce faisant, ne revendiquent nulle action artistique) je dirais :
Selon vous, l’image du Christ aurait été abîmée par l’œuvre de Serrano. Alors un coup de pioche et hop, voici l’image d’un Christ en gloire dans sa mandorle ? Action de Gribouille !
Et aux 40 000 et quelques internautes pétitionnaires « contre le Piss Christ », pleins d’émotion bêlante et peut-être de (bonne) foi :
Puisque cette image n’a pas le bonheur de vous plaire et que vous vous intéressez si vivement à l’art, cotisez-vous et faites-vous les mécènes des œuvres de demain ; ou bien, si vous ne songez qu’à « conserver », portez massivement vos dons et vos énergies en faveur de la « restauration » de l’héritage artistique de Clément, d’Innocent et des autres que vous laissez en déshérence. Sans oublier l’héritage immatériel des Lumières : comprenez en particulier que si la liberté artistique n’est pas entière, risque de venir un jour où les images, toutes les images, à commencer par celles qui vous agréent, seront anéanties plus sûrement et plus durablement que les statues voilées de noir le temps d’un Vendredi saint ; car en matière d’iconoclastie, vous êtes … des enfants de chœurs.
A tous, Joyeuses Pâques. En ce printemps, la nature (qui surpasse l’art) est verte par ici comme jamais, d’une multitude de verts en parfaite harmonie, et offre une image incontestable de résurrection.
Comprenez-moi bien, chère Mariane : je ne dis à aucun moment que les photographies de Serrano soient mon idéal artistique , même si les spécialistes et les experts lui reconnaissent depuis plus de 20 ans ( la photo incriminée a 24 ans) un vrai talent.
En aucun cas il ne s'agit d'une référence "caca boudin", mais bien plutôt d'une sorte de cri poussé en pleine épidémie tragique du sida aux USA mettant le dieu de souffrance au sein des liquides des humains malades. Non Serrano n'a pas "pissé" sur la croix comme les intégristes et l'évêque d'Avignon l'ont stupidement dit. Il a - maladroitement penseront certains, et c'est leur droit - essayé de dire la souffrance et la beauté de celle-ci.
Mais ma préoccupation n'est pas là.
Elle est tout entière dans cette seule évidence : nul n'a le droit de s'ériger en censeur de l'art et notamment de décréter, pour justifier sa censure que telle ou telle création " n'est pas de l'art ".
Je ne comprends pas...
Il me semble parfaitement odieux de menacer des gardiens de musée qui ne font que le travail qu'ils se sont engagés à faire. Ils ne sont pas responsables des "oeuvres" qu'ils sont chargés de protéger et je ne soutiens d'aucune manière les deux visiteurs qui se sont livrés à ces actes. En revanche, je me pose bien des questions sur l'état mental de "l'artiste"... Ces photos provocatrices et idiotes n'ont pas, à mes yeux, le moindre soupçon d'ombre d'oeuvre d'art. Cela me fait plutôt penser à l'attitude des enfants qui récitent tous les "gros" mots de leur répertoire pendant que papa et maman ont le dos tourné... J'ai comme l'impression que ce photographe a oublié de grandir et qu'il multiplie des images pour "embêter" des gens pas beaucoup plus fûtés que lui même.... Comme vous pouvez le constater, je ne partage pas votre avis et je ne comprends pas bien où vous voyez de la "culture" là où je ne vois que de la bêtise... Si je me trompe, expliquez moi, car, pour ce qui me concerne, il y a beau temps que les plaisanteries du type "pipi, caca boudin" ne m'arrachent plus le moindre sourire.