Arnaud Montebourg a beaucoup d'atouts. Il en joue, ce qui est légitime. Peut-être est-il en train d'en abuser.
Ce jeune quinquagénaire parait s'étre offert une éternelle trentaine. Un joli visage, des yeux charmeurs, dont il sait jouer, le geste délié, le port juste fier comme il sied à un homme de gauche distingué, le verbe facile et imagé, enjoleur ou féroce selon les besoins.
En tous points le portrait de Catilina par Salluste, il y a 21 siècles.
Il porte élégamment de beaux costumes et fustige les bourgeois.
Il rejette le parti de papa, mais organise chaque année un petit pélerinage sur les hauteurs de Saône et Loire au milieu de ses sectateurs, comme tonton.
Il va répétant qu'il a des ascendants arabes et que ses parents tenaient une charcuterie dans son village.
Bref, « c'est une synthèse», comme dit un personnage d'Audiard.
Il ne manque ni de hardiesse, il l'a montré (voir article en lien) au sujet de l'affaire de la fédération socialiste des Bouches du Rhône et en d'autres occasions, ni de sens du timing et de l'exploitation médiatique de ses coups de gueule théâtraux.
Il sait être doucereux ou aigre, n'hésite pas à changer son fusil d'épaule parce qu'il est ambidextre; il a une haute idée de lui-même, une ambition sans limites et fait partie de cette sous-espèce ultra dangereuse des nectarivores carnassiers.
Toutes ces qualités, que j'hésite à appeler des vertus, sont utiles, voire indispensables dans la savane politique. Mais je me demande si l'extraordinaire coup que les primaires lui ont permis de réaliser
- ces primaires qu'il a portées à bout de bras contre la volonté de tous les caciques de son parti, ceux-la mêmes qui aujourd'hui font mine de les avoir toujours souhaitées, à commencer par le fâcheux Harlem Désir -- ne sont pas en train de se retourner contre lui.
Car à trop se faire désirer, à vouloir bronzer sous les sun-lights et jouer la reine d'un jour, peut-être est-il en train de se griller auprès des éléphants du parti qui reprendront toute leur influence dès que ce seront éteintes les lumières de la rampe.
Peut-être même, et ce serait encore plus grave pour lui, est-il en train de lasser ceux qui, délaissant Ségolène Royal, lui ont apporté leurs suffrages.
L'homme est doué. Il est presque parvenu à faire croire à tout le monde qu'il était " à la gauche de la gauche", ce que dément tout son parcours jusqu'à ce jour. Il trace des perspectives à long terme qui lui permettent de passer pour un visionnaire inspiré quand il n'est qu'un illusionniste habile.
Il a usurpé, tel un animal opportuniste, la niche écologique laissée vacante par le départ de Mélenchon.
A présent le voici sommé de choisir entre deux écueils dont l'un est double : soit il ne donne pas de consigne de vote aux électeurs qui l'ont choisi au premier tour et il semble jouer personnel, soit il indique plus ou moins clairement sa préférence pour Aubry ou Hollande, et il passe alors pour un inconstant puisqu'il n'a cessé durant ces dernières semaines, de les renvoyer dos à dos en les ringardisant l'un et l'autre.
L'une et l'autre branche de cette alternative sont trop risquées pour lui, la ficelle serait trop grosse et trop visible, même pour des admirateurs éblouis.
Il faudra donc qu'il pousse un peu plus avant son numéro d'équilibriste : dire sans dire, selon la formule du linguiste Oswald Ducrot, semer quelques indices d'un rapprochement avec telle ou tel, sans que, plus tard, on puisse lui opposer un choix clair qui lui aliène ceux qui seront les perdants du second tour de ces primaires.
Son idée de lettre-programme est un élément de cette stratégie du flou faussement net, de l'indécis faussement volontariste dans lequel a excellé François Mitterrand, son modèle, il y a quelques décennies.
Elle se précise, cette statégie du bonneteau, quand il dit sans rire qu'il attend le débat de demain soir entre Hollande et Aubry pour trancher, si toutefois il tranche !
Le rénovateur, le chantre de " la nouvelle France", le pourfendeur de la mondialisation, l'ennemi acharné du grand capital et des banques, fait jouer les plus vieux ressorts de la politique de toujours.
Un vieillard déguisé en jeune homme
Le numéro d'équilibriste qu'il est en train de présenter au public est certes captivant.
Toute la question pour lui est de savoir s'il pourra entretenir l'illusion durant cinq ans et demi, jusqu'en mai 2017, son seul cap, sa seule vraie préoccupation.