On se souvient de la réplique du gamin de la Guerre des Boutons . « si j'aurais su j'aurais pas venu !». Elle sert d'exemple de l'emploi fautif du conditionnel après "si".
Pas une personne se piquant de parler bien le français qui ne condamne d'un éclat de rire ce barbarisme affreux.
On nous répète, et on a raison, que la règle commune est d'employer un imparfait ou un plus que parfait de l'indicatif après "si" dans la proposition principale, et de réserver le conditionnel pour la subordonnée.
Il faut donc dire « si je savais, je viendrais », ou « si j'avais su, je serais venu ».
Pourtant, on lit dans Phèdre de Racine ( que j'étudie en ce moment avec mes secondes ) :
« ou si d'un sang trop vil ta main serait trempée...»
Racine fait-il des fautes de syntaxe ? Est-ce une coquille qui aurait traversé les siècles ?
Pas du tout ! Non seulement Ici, l'auteur est fondé à employer le conditionnel après "si", mais il ne pouvait pas faire autrement.
Pourquoi ?
C'est que dans la principale, le conditionnel après "si" exprime une pensée qui se trouve dans l'esprit d'une autre personne que celle qui parle, alors que dans la célèbre réplique de Tigibus, c'est sa propre pensée qui est contenue dans les deux propositions de la phrase.
La réplique de Racine peut donc se compléter de la façon suivante, qui justifie pleinement le conditionnel après "si" :
« si (tu penses) que ta main serait trempée d'un sang trop vil. »
Le bon usage consiste donc à réserver l'indicatif à tous les cas - majoritaires - où la proposition subordonnée exprime une condition intériorisée par le locuteur, et d'employer le conditionnel - exceptionnellement - lorsque cette condition se situe dans l'esprit de l'interlocuteur.
C'est un peu complexe, un peu subtil, mais avouez que de l'emploi correct de ces nuances dépendent toute la subtilité et surtout l'exactitude de la pensée.
C'est bien ce à quoi sert la parole, non ?