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Titre du blog : Le journal de Frank THOMAS
Auteur : Frank-Marie-THOMAS
Date de création : 20-09-2009
 
posté le 12-11-2012 à 12:44:30

14-18

Le temps est à la commémoration et à l'hommage aux sacrifiés de la "Grande Guerre". Cette «boucherie héroïque» a suscité, outre un nombre incalculable de thèses, d'essais et de récits historiques, une littérature abondante, et ce depuis les années 20.

Parmi les livres qu'il faut avoir lu je citerais les Croix de Bois de Roland Dorgelès qui, en concurrence avec Proust, faillit obtenir le Goncourt en 1921.

On ne peut pas non plus faire l'impasse sur le beau livre d'Henri Barbusse, Le Feu  ou sur A l'Ouest Rien de Nouveau  d'Erich-Maria Remarque.

Il y a quelques jours, l'estimable écrivain contemporain Jean Echenoz publiait un roman , 14, qui promet dores et déjà d'être un beau succès de librairie.

J'en parlerai lorsque je l'aurai lu.

Mais il est des pages que je recommande avec chaleur si l'on veut, hors des idées reçues, se faire une juste idée de ce qu'a pu être le martyre des poilus.

 celles du Voyage au Bout de la Nuit de Céline, et les derniers chapitres des Champs d'Honneur de Jean Rouaud.

Ce dernier roman, paru en 1990, obtint le prix Goncourt, et c'était justifié.

Certes le livre s'inscrit nettement dans la tradition du roman français, et l'on ne peut qu'entendre l'écho de Combray ou de Une Vie à travers, notamment,  le portrait de la vieille tante institutrice dont la vie sans plaisir est un sacrifice mélancolique, comme celle de la Tante Léonie ou de Tante Lison.

Mais la fin du livre surtout est terrifiante de réalisme.

Rouaud en quelques paragraphes plonge au sein de l'horreur absolue des charniers putrides, des nappes verdâtres d'ypérite, de la souffrance indicible des soldats.

«  Le premier réflexe est d'enfouir le nez dans la vareuse, mais la provision d'oxygène y est si réduite qu'il s'épuise en trois inspirations. Il faut ressortir la tête et, après de longues secondes d'apnée, inhaler l'horrible mixture.

Nous n'avons jamais vraiment écouté ces vieillards de vingt ans dont le témoignage nous aiderait à remonter les chemins de l'horreur : l'intolérable brûlure aux yeux, au nez, à la gorge, de suffocantes douleurs dans la poitrine, une toux violente qui déchire la plèvre et les bronches, amène une bave de sang aux lèvres, le corps plié en deux secoué d'âcres vomissements, écroulés recroquevillés que la mort ramassera bientôt, piétinés par les plus vaillants qui tentent, mains au rebord de la tranchée, de se hisser au dehors de s'extraire de ce grouillement de vers humains, mais les pieds s'emmêlent dans les fils électriques agrafés le long de la paroi, et l'éboulement qui s'ensuit provoque la réapparition par morceaux des cadavres de l'automne sommairement enterrés dans le parapet...»

Si vous ne l'avez pas lu, précipitez-vous.