J'ai déjà dit ( cf. l'artcle lié ) toute l'irritation que suscitait chez moi l'emploi devenu presque automatique de la stupide et vilaine expression : « c'est que du bonheur !». Permettez tout de même que j'y revienne un instant.
Elle est moche en elle même, c'est un premier point; mais c'est qu'en plus elle vient ponctuer des situations dont le "bonheur" est tout à fait exclu, comme de trouver un bon boulanger, d'arriver à l'heure au chalet qu'on a loué, de déguster des huîtres, etc.
Par une inflation coutumière en ces temps de musique jouée trop fort et de rire gras, on décore du mot de "bonheur" des circonstances banales de la vie où l'on devrait parler plus justement de "confort" ou de "plaisir".
Et puis, il y a « trop », l'adverbe "trop", employé de façon bêtement systématique à la place de "très".
« C'est trop bon !», , et la version admirative devant un beau spectacle, une belle surprise :« c'est trop beau !».
Dans la larmoyante émission où le bel Emmanuel rassemble les artisans bénévoles de toute une région pour venir en aide à une famille en détresse en lui reconstruisant sa maison, vient une séquence encore plus sirupeuse et noyée de larmes de reconnaissance et d'humanité sensible que les autres, où les enfants découvrent leur nouvelle chambre, bleue pour les garçons, rose pour les filles : « oh ! C'est trop beau », dit la petite "princesse" ( c'est ainsi en effet qu'Emmanuel, l'envoyé du Ciel, les nomme toutes depuis le début de l'émission ); « oh ! C'est trop beau !» s'écrie le petit garçon.
Puis c'est le tour des parents qui, devant le spectacle de l'ancien garage transformé en "nid d'amour", ouvrent leurs yeux émerveillés devant leur nouvelle chambre conjugale en murmurant, la voix entrecoupée de larmes : « oh ! C'est trop beau », certains osant même cette variante pléonastique : « oh ! C'est trop top !»
Triste constat de l'appauvrissement , de l'affadissement et de l'alourdissement d'une langue pourtant si légère, si goûteuse et si riche, qu'on réduit peu à peu à des onomatopées, des "waouh!", des "trop top !", des "juste sublime !" qui la rendent à la fois vulgaire et bête.
Commentaires
Voilà ce que c'est que d'être aimable !
J'aurais en effet dû dire au boulanger « Votre pain est trop infect ».
Vous plaisantez, cher Hervé !
Mesurez-vous bien l'immense distance qui sépare "rien moins que du bonheur "de " c'est que du bonheur " !
Dans le premier cas le mot "bonheur" est tout à fait à sa place puisqu'il est présenté délibérément comme une hyperbole par la double négation " n'est rien moins que".
Dans le second, au contraire, le mot est employé abusivement et étalé là comme un gros poisson flasque et mort.
Le bon pain est devenu si rare qu'un jour où j'étais bien luné j'ai dit à un boulanger du Village planétaire « Votre pain n'est rien moins que du bonheur ». Je pense que c'est parti de là. Encore une perle pour les pourceaux !