On y vient doucement. Du bout des lèvres pour le moment, bientôt mezza-voce, puis ce sera le chœur tonitruant des vertueux de la route : la boîte noire arrive, en compagnie de "l'éthylotest" embarqué.
En quarante ans les contraintes se sont accumulé sur la tête des usagers de la route. Elles se sont traduit par un ensemble impressionnant d'objets, d'interdictions, d'obligations et de surveillance.
Des objets, d'abord : port obligatoire du casque et de la ceinture de sécurité (monstruosité législative, même si les deux ont leur utilité ), sièges pour enfants, gilet jaune, triangle réfléchissant.
Des interdictions ensuite : celle de prendre de l'alcool ou des substances psychotropes, de téléphoner au volant, même à l'arrêt, de manger ou de fumer, d'embarquer un avertisseur de radars.
Des obligations coûteuses : contrôle bisannuel des véhicules, péage des autoroutes.
Enfin, la multiplication exponentielle des moyens de surveillance terrestres, aériens, humains ou électroniques, dont le plus spectaculaire est le radar de contrôle de vitesse ou de franchissement de feu rouge.
Chacune de ces contraintes se justifie, sinon juridiquement, du moins dans un sens pratique. Et il n'est pas contestable que malgré l'augmentation énorme du nombre de véhicules en circulation sur nos routes de France, les accidents - mortels notamment - sont en constante diminution.
Cependant deux éléments ne sont jamais pris en compte ou du moins mesurés de façon honnête et claire : l'apport positif de l'amélioration des infrastructures routières, des revêtements, de la signalisation d'une part, et d'autre part l'amélioration spectaculaire de la fiabilité et de la sécurité des deux roues et des voitures.
Car on ne pourra véritablement dire que les obligations et les interdictions dont je parle plus haut ont fait la preuve de leur efficacité que lorsqu'on aura mesuré la part de ces améliorations dans la chûte du nombre d'accidents mortels.
Or voici que, poussant toujours plus loin cette logique sécuritaire qui ne tient aucun compte du stress que l'accumulation de toutes ces contraintes finit par générer, le gouvernement, poussé par les associations de victimes de la route, envisage de rendre obligatoire l'installation d'une boîte noire, à l'intérieur de chacune des voitures neuves ainsi que la pose d'éthylotest anti-démarrage.
Je reviendrai dans un autre article sur ce dernier.
On nous dit, bien sûr, que ce mouchard embarqué sera une garantie pour nous en cas d'accident, puisque les paramètres qu'il mesurera permettront aux forces de police et à la justice de déterminer avec précision les responsabilités de chacun. Ainsi présenté, on ne peut bien entendu qu'être favorable à ce nouvel équipement.
Mais il est un peu fort d'essayer de nous faire gober que la boîte noire ne sera utilisée qu'en cas d'accident et que tout le reste du parcours sera effacé au fur et à mesure.
Qu'est-ce qui empêchera en effet que la gendarmerie n'arrête aléatoirement un automobiliste, même innocent de toute infraction, et ne trouve à redire à tel ou tel dépassement de vitesse commis il y a plusieurs heures ou plusieurs jours, ou à une trop longue période de conduite, etc ?
Qui est assez naïf pour croire que disposant d'un tel moyen de flicage généralisé - s'ajoutant aux GPS, aux téléphones portables, aux cartes de crédit, aux péages autoroutiers - les forces de l'ordre ne seront pas tentées de s'en servir au delà de l'usage primitivement affiché ?
On sait en tout cas que rien n'empêchera que ce système enregistre des données susceptibles d'être ensuite opposées au propriétaire et au conducteur : vitesse durant le parcours, date de la dernière vidange, du changement de pneus ou des amortisseurs, etc.
On cherche parfois des causes à la morosité et à l'irritation de notre société; croira-t-on que cette accumulation d'interdits, d'obligations et de contrôles n'ait aucune responsabilité dans cette situation ? Est-il absurde de se demander si parfois le remède n'est pas pire que le mal ?
Ce qui, en plus de tout ceci, me paraît redoutable, c'est que - comme pour les taxes et les impôts - la spirale n'ait plus de fin et aille s'accélérant.
Comme il est certain qu'on ne parviendra jamais, hélas, à éradiquer complètement les accidents et à faire que la route ne tue plus personne, il y aura toujours un champ largement ouvert à l'imagination coercitive.
Aïe !