J'apprends par des amis - eh oui ! j'en compte encore quelques uns au village - qu'un sinistre vient une fois encore de blesser le coeur de la vieille cité. J'ai habité 32 ans tout près de là, et cette nouvelle m'attriste sans me surprendre, tant il est vrai que l'état d'abandon de ce quartier est propice à ce genre d'accident.
Je reprends donc le fil de ce récit.
Le 6 octobre 1984, donc, dans une salle du conseil comble, le maire et ses complices donnèrent leur triste comédie qui fut à plusieurs reprises accompagnée de huées " on ne sait trop à l'adresse de qui ", dit le journal du coin. L'ancien président de "1O heures de l'après-midi", un pitre qui devait, hélas devenir maire à son tour 24 ans plus tard, y alla même de sa plaisanterie :
"Pour une fois qu'il y a un spectacle qui fait du monde ! ". On voit l'ambiance.
Seul parmi les conseillers de l'opposition de gauche, le secrétaire fédéral du Mouvement des Radicaux de Gauche eut la hardiesse d'écrire dans une tribune :
" Je n'ai pas de jugement à porter sur M. Frank Thomas...je ne cherche pas à l'annexer par le biais d'un évènement qui a indigné toute la ville...
En Monsieur Thomas je respecte l'homme du courage. Il a su dire non à l'autoritarisme inacceptable, humiliant d'un maire qui abuse des pouvoirs que lui donne une loi mal faite...La virulence du conflit ne me permet pas de m'en laver les mains...L'acharnement du maire ne devrait laisser personne indifférent. Prétexter que les deux antagonistes sont de la même famille politique ne constitue pas une excuse à la lâcheté ambiante. "
Ce digne homme stigmatisait par ces derniers mots la gauche du village qui se réfugiait derrière le fallacieux et couard prétexte de la querelle " entre deux hommes de droite" pour rester neutre de façon absolument répugnante, mais bien à l'image des médiocres qui l'incarnaient alors et qui, hélas, continuent de l'incarner aujourd'hui.
Puis les choses reprirent leurs cours.
Accompagné d'un conseiller de la majorité qui n'avait pas supporté l'ignominie de l'attitude du maire et de ses féaux - lequel conseiller, depuis, fait une magnifique carrière au service de l'Etat - j'entrais dans l'opposition résolue à cette équipe lamentable.
Le 16 décembre, durant la séance qui devait voir l'élection d'un adjoint qui me remplacerait, ce jeune conseiller devenu depuis un ami déclara :
" Nous avons en la personne de Monsieur Thomas un enseignant agrégé, compétent, sérieux, disponible. Mais tous les moyens ont été bons pour le discréditer. Désigner ce soir un successeur serait accréditer l'idée que Frank Thomas est un mauvais citoyen, un mauvais contribuable ( j'ai oublié de dire qu'entre autres calomnies, le premier adjoint m'avait accusé de ne pas payer mes impôts ! ) indigne de notre équipe. En qualité de magistrat , d'élu local et de citoyen, je me devais de réagir. En aucun cas je ne saurais cautionner de telles pratiques, indignes d'une démocratie. C'est la raison pour laquelle je vous prie de bien réfléchir sur la seule attitude digne : l'abstention "
Est-il utile de dire qu'il ne fut pas suivi ?
On multiplia dans les semaines et les mois qui suivirent les petites humiliations; on mit tout son savoir-faire à me gêner dans la vie des deux associations que j'animais, l'une destinée à récolter des fonds pour lutter contre le cancer en versant toutes les sommes récoltées au centre Leclerc de Dijon, l'autre, l'Université Pour Tous dont j'ai déjà parlé.
On distilla perfidement des rumeurs tendant à me présenter sous les traits d'un homme cupide et malhonnête.
Elles ne parvinrent jamais à prendre, tant elles étaient invraisemblables pour tous ceux - nombreux - qui me côtoyaient dans ma vie publique et professionnelle.
Le pire est que durant toutes ces années jamais un seul élu de l'équipe majoritaire n'osa sourciller ni émettre la moindre réserve. Tel maître, tels serviteurs.
Contrairement au bruit que le maire s'acharnait méthodiquement à répandre, efficacement relayé par la nullité complice du journal local, mon collègue et moi votions librement, sans égard au passé; nous approuvions les dossiers corrects et repoussions ceux qui étaient mal ficelés - et ils abondaient - ou suffisamment flous pour susciter notre méfiance.
Une saynète clôturera comiquement ce numéro de ma chronique; saynète qui dit tout du tyran mou qui présidait alors aux destinées du pauvre village.
Début janvier de l'année suivante, au cours de la cérémonie des vœux dans les "salons" de l'Hôtel de Ville " (je mets salons entre guillemets car ce n'était - et ce n'est toujours - qu'une longue et soviétique salle des fêtes bien dans le goût de l'homme), le maire osa :
" Jules Lemaître a dit : " la tolérance est la charité de l'intelligence; formons le vœu que tous les conseillers municipaux fassent preuve de charité et d'intelligence en 1985 ".
Et l'on ne pouvait même pas éclater de rire !