Dans l'affaire de la tuerie de Chevaline, quadruple meurtre resté à ce jour sans explication ni coupable, la garde à vue de Monsieur Devouassoux a donné lieu à un déferlement médiatique qui, de ce prévenu, faisait un coupable tout désigné qui n'était plus protégé du lynchage que par ces mots magiques : "le présumé coupable" lesquels sont soit un pléonasme, soit une antiphrase.
Regardons d'un peu plus près le sens de "présumé", ce mot galvaudé et d'autant plus employé qu'on le vide hypocritement de toute signification réelle.
Praesumere c'est, mot à mot, "prendre à l'avance", et si l'on se réfère au sens juridique que ce verbe avait dans le latin cicéronien de la fin de la République, "poser comme principe, prendre comme prémisses, reconnaître, admettre".
Ainsi, l'expression "présumé innocent" que l'on répète mécaniquement pour s'y réfugier comme derrière un bouclier, n'a d'autre signification que "reconnu innocent; admis innocent".
A rebours, "présumé coupable" a donc le sens de " reconnu coupable".
Comme notre droit le stipule heureusement, c'est aux accusateurs à apporter les preuves qui, de cet innocent, feront éventuellement un coupable.
L'accumulation des soupçons, les coïncidences même troublantes, le nombre "d'affaires" auxquelles serait mêlé le même prévenu ne changent rien au fait qu'il est innocent en droit; mais cela change évidemment tout en réalité, parce que selon la fameuse sagesse des nations, "il n'y a pas de fumée sans feu".
Du coup, "présumé innocent" prend peu à peu le sens de "prétendu innocent" ou, pire encore, de " présumé coupable" par la seule multiplication des soupçons.
Je ne parle là, bien sûr, chacun l'aura compris, que de Monsieur Devouassoux...
Dans l'Esprit des Lois, Montesquieu écrit : « lorsque le juge présume, ses jugements deviennent arbitraires; lorsque la loi présume, elle donne au juge une règle fixe.»
Dans le cas d'espèce, "la loi présume", et les médias dont le rôle est d'informer le public et non pas de le former ou de le formater, devrait se limiter à en faire autant.