Les partis dits "de gouvernement" n'ont jamais perdu la critiquable habitude de tripatouiller les modes de scrutin pour essayer d'orienter les résultats dans un sens qui leur soit favorable.
A ce jeu on peut renvoyer dos à dos les deux grandes formations qui depuis les années d'après-guerre se partagent alternativement le pouvoir en France. Il est vraisemblable d'ailleurs que le Front National qui aspire à prendre le pouvoir à son tour, ne pratiquerait guère autrement si d'aventure il y parvenait. C'est que la tentation est forte d'essayer, avec les mêmes chiffres globaux, d'obtenir plus de sièges, donc plus de pouvoir et de financement.
Je rappelerai d'abord que successivement en 2011 et 2013, les gouvernements Fillon puis Ayrault ont modifié les règles prévalant pour les élections anciennement appelées "cantonales" et plus simplement nommées à présent "départementales", les "conseillers généraux" devenant, avec les mêmes attributions, "conseillers départementaux".
Ces changements de noms sont d'ailleurs à peu près tout ce qui reste de la grande réforme territoriale voulue par le précédent président de la République, laquelle prévoyait la disparition du département et le renforcement des régions.
Le département est maintenu avec les attributions qui sont traditionnellement les siennes, le nombre des cantons est divisé par deux, certes, mais pas celui des conseillers puisque dorénavant ils seront deux - un homme, une femme - par canton. Bref, beaucoup de bruit pour rien, ou presque.
Mais là ou les choses deviennent amusantes, c'est quand on regarde la réforme de 2013, voulue par la majorité actuelle pour s'assurer de conserver les départements qu'elle dirige, et barrer la route au Front National en évitant les élections triangulaires de second tour, ravageuses pour le parti au pouvoir. C'est véritablement l'arroseur arrosé !
L'astuce - éculée mais toujours efficace - consiste à relever tout simplement le pourcentage de voix nécessaire pour pouvoir participer au second tour.
Jusqu'en 2013 ce pourcentage était de 10 % des électeurs inscrits. Donc dans la pratique, compte tenu de l'abstention aux élections locales qui tourne autour de 50 % , il fallait obtenir environ 20 % des suffrages exprimés au premier tour, ce qui déjà n'était pas rien.
Voici que, certaine d'handicaper le FN dont les scores il y a trois ans ne dépassaient que rarement 20 %, la majorité de gauche se crut extrêmement habile de remonter la barre à 12,5 % des inscrits au premier tour et donc à environ 25, voir 30 % des exprimés du second tour.
Or l'usure du pouvoir, la volatilité de l'électorat, la déception d'une grande partie des électeurs de François Hollande et surtout, s'agissant de ces élections départementales, la confusion extrême et le brouillard dans lesquels elles se déroulent, aboutissent - les sondages le montrent jour après jour - à ce que le Parti Socialiste n'est que très rarement crédité d'un score de 25 % des électeurs du premier tour.
Ajouté à cela que ce flou dont je parle va sans doute encore augmenter le nombre des abstentionnistes, c'est donc le PS et ses alliés Radicaux de Gauche et non pas le Front National qui, dans un très grand nombre de cantons, risque de ne pas pouvoir participer au second tour.
D'un point de vue moral, cet effet boomerang d'une mesure destinée à gêner leurs adversaires de droite, est pour le moins méritée. Mais la politique n'est pas seulement affaire de morale. Elle est ausssi et surtout l'art de prévoir et de préparer l'avenir et d'éviter les écueils encore invisibles.
Reconnaissons que de ce double point de vue, la Gauche s'est lamentablement fourvoyée, et quelle illustre à son corps défendant la fameuse formule : « tel est pris qui croyait prendre ».
Commentaires
@fugace
En effet, c'est une première. Le flou domine ces élections. On ne connait en réalité que l'emprise géographique des nouveaux cantons et, en très gros, les attributions des conseils départementaux.
Je dis en très gros, car il semble que le périmètre de leurs compétences puisse être rogné au profit des futures 13 "grandes régions" dont on ne sait non plus pas grand chose et pour lesquelles le peuple va être appelé à voter d'ici à la fin de cette année.
Ce cafouillage est inquiétant. Nul doute qu'il participera à grossir le nombre des abstentionnistes, comme vous le dites.
Ce vote à l'aveugle est si invraisemblable que je me demande si ce scrutin ne pourrait pas être attaqué d'un point de vue constitutionnel.
Bonjour,
Je ferai, pour ma part demain, partie des abstentionnistes, car je trouve anachronique sinon aberrant d'élire des gens, dont la fonction n'est pas véritablement connue pour la durée du mandat, et pour lesquels ils nous est demandé une procuration, à l'aveugle en quelque sorte.