Après les artistes pissant sur scène, le godemiché géant installé place Vendôme, voici le "Vagin de la Reine" sur le grand Tapis Vert de Versailles.
Ce haut lieu de pouvoir et de culture que visitent chaque année 7 millions de personnes venues du monde entier est depuis quelques années un immense lieu d'exposition pour des artistes contemporains désireux de bénéficier de cet énorme afflux de visiteurs, pris en quelque sorte en ôtage et contraints de passer devant les œuvres pour accéder aux lieux qu'ils sont venus admirer.
Rien de plus ringard, à mes yeux, que cette volonté pseudo-moderne de provocation. Voici près d'un siècle qu'on nous l'impose comme une fraîche nouveauté et que le débat esthétique, au lieu de porter sur le fond des œuvres en question, se cantonne à l'acceptation gourmande ou au refus écœuré de la provocation.
Les vilaines colonnes tronquées de la cour d'honneur du Palais Royal à Paris, les grotesques et hors de prix "emballements de Christo" (on se souvient sûrement de celui du Pont-Neuf), obéissent à peu près à la même miteuse conception de l'art comme provocation, la polémique tenant lieu de brevet de qualité.
Sans cesse revient le même argument qui consiste à nous rappeler que les grandes innovations ont toujours suscité des réactions négatives de la part d'une certaine catégorie de personnes bouchées à la nouveauté et bornées dans leur goût conservateur et bourgeois.
Cela n'est pas historiquement faux.
Il est vrai que le public a mal reçu de grandes œuvres musicales, architecturales, etc. qui, plus tard, sont devenues des références universellement admirées.
Mais on oublie un peu vite que le contraire est vrai aussi : bien des créations de mauvaise qualité ont été encensées sur le moment qui, plus tard, sont tombées dans un profond oubli.
Ainsi le souci d'être à la page, de ne pas passer pour un béotien en prenant le risque de mépriser ce qui, dans l'avenir, sera peut-être admiré, conduit nos contemporains désorientés par la laideur de ce qu'ils voient ou entendent, à réserver leur jugement, à ne pas exprimer leur rejet de tant d'absurdité résolument provocatrice, et à suivre sagement le troupeau bêlant.
Du 9 juin au 1er novembre, c'est à dire durant la période où les visiteurs seront le plus nombreux, les jardins de Versailles verront donc 6 créations du britannique Anish Kapoor cohabiter dans la plus criante disharmonie avec les jardins de Le Nôtre, les bâtiments de Mansard, les statues de Coysevox, etc.
L'artiste explique sans embages que son intention est d'"investir un lieu de pouvoir", c'est, selon lui, "le vagin de la reine qui prend le pouvoir".
On voit que pour faire passer la pillule, il n'hésite pas, en plus, à faire sonner une démagogique musique féministe, censée convaincre et séduire nos contemporains.
Ce même Kapoor, rappelons le, avait déjà orné la salle du jeu de paume de Versailles d'une immense "sculpture" intitulée "Shooting into the Corner...
Ainsi le propos est clairement de confronter le désordre à l'ordre, et, dans le cas qui nous occupe, ce "Dirty Corner" communément appelé le Vagin de la Reine, de faire se heurter entre eux l'aspect le plus prosaïque du corps humain et la grandeur planétaire de la France de Louis XIV. Il va même, en toute modestie, qualité qui caractérise ces "créateurs" contemporains -, à affirmer qu'il transforme ainsi un "lieu de mort en lieu de vie" !
"J'ai eu l'idée, dit-il, de bouleverser l'équilibre et d'inventer le chaos".
De ce point de vue ce vilain chantier qui défigure les œuvres des artistes qui ont conçu et réalisé ces lieux merveilleux, est une absolue réussite. (*)
Ces tonnes de roches accumulées, cette masse de terre remuée, ces mastodontes de ferraille d'une grande laideur parviennent parfaitement, en effet, à souiller le parc de Versailles et à l'enlaidir.
Une réflexion pour finir, qui pourrait justifier qu'on mette un terme à ce genre d'expérience où, profitant de la notoriété d'un lieu, des "artistes" obligent les visiteurs à passer devant leurs créations que, sans cela, personne ou presque n'aurait songé à aller voir : le problème juridique que pose ce genre d'abus.
L'article L111-1 du code de la propriété intellectuelle stipule que l'auteur d'une œuvre a sur celle-ci deux droits : un droit patrimonial et un droit moral "perpétuel et imprescriptible".
Ce dernier droit, non monnayable mais bien réel, n'a aucune limite temporelle et persiste bien au delà de la mort de l'artiste, dans les siècles qui suivent, même si son œuvre est tombée dans le domaine public.
En s'appuyant sur ce texte très clair, il est probable qu'on pourrait empêcher ces abus et ces détournements qu'on nous présente comme d'intéressantes et créatives hardiesses. Mais qui le fera ? Fleur Pellerin ? Manuel Valls ? François Hollande ?
(*) Je vous suggère de jeter un œil sur l'article de 2009 que je mets en lien.
Commentaires
@ Hervé Molla
Je reconnais bien volontiers, mon cher Hervé, que je fais partie de ceux - que vous stigmatisez - qui sont gênés dans la visite qu'ils font à Versailles (pour ne parler que de ce lieu) par certaines installations qui rendent très difficile d'arriver à jouir ce que les artistes qui ont conçu ces jardins et ces bâtiments ont voulu dire et transmettre.
J'ai subi la même désagréable épreuve il y a deux ans sur le forum romain où l'on avait cru utile et pertinent de ficher quelques ferrailles tordues décorées de noms prétentieux.
Je fais résolument partie de ces béotiens pour qui une oeuvre doit être laissée autant que faire se peut dans l'état où l'ont voulu leurs créateurs, c'est à dire respectée.
On peut, si l'on veut, mettre des moustaches à une reproduction de la Joconde tant qu'on ne le fait pas sur le tableau lui même.On peut composer des variations sur un thème de Mozart tant qu'on ne le fait pas durant l'interprétation de l'oeuvre elle-même.
Je vous rassure : j'ai vu de mes yeux, sur place, les vilaines créations de Kapoor. Je n'en ai pas été "dérangé" au sens politico-sociologico- psychologique qu'on donne aujourd'hui à ce mot.
Je les ai tout simplement trouvée laides, fort encombrantes là où elles ont été placées et dérangeantes, oui, mais au sens le plus banal du mot, parce qu'elles gênent la vue et viennent abîmer de magnifiques perspectives.
Je n'ai pas voulu les photographier et j'ai donc eu recours à des photos traînant sur internet. Jamais je ne me serais permis de porter un jugement par procuration.
Je ne partage pas votre sévérité à l'encontre des cartes postales et je trouve quant à moi que le Mont-Blanc ou le Taj Mahal sont bien beaux en photo aussi !
Pour "Shooting into the corner", que je trouve d'une affligeante et répétitive banalité, je ne l'ai pas vu. Je doute cependant que sa présence physique eût changé mon impression.
Ces audaces vieillies et jaunies finissent par m'agacer.
Vous dites que la présence de Kapoor à Versailles est due à sa grande notoriété et non l'inverse.
Je vous l'accorde bien volontiers, mais cette notoriété, limitée au cercle étroit des connaisseurs prend une dimension bien plus grande et populaire dans un tel lieu. Il n'y a même que là qu'elle peut l'acquérir. Ce n'est pas un mince bénéfice pour l'artiste.
J'ai certainement mal expliqué la dernière remarque de mon billet : lesprotecteurs des "ayants droits" d'une oeuvre tombée dans le domaine public sont les propriétaires de cette oeuvre, en l'occurrence l'Etat qui, en effet, devrait ne pas permettre que cette oeuvre soit, même temporairement, défigurée.
Je termine par le plus important : le rejet que vous supposez chez moi de la provocation.
Il est évident, et l'histoire de l'art et de la littérature en est remplie, que certaines grandes oeuvres ont été extrêmement provocatrices, exposant même leurs auteurs aux foudres, parfois mortelles, du pouvoir politique ou de l'Eglise.
Voulez-vous bien me dire à quels dangers s'expose l'artiste contemporain, du moins en Europe ?
Donc, selon moi, de ce que l'art est - pas toujours, mais souvent provocateur on ne doit certainement pas inférer que ce qui est provocateur est artistique ( pour ne pas articuler le mot " beau", qui n'a plus cours chez les spécialistes de l'art contemporain).
La provocation est devenue pour bien des médiocres, la seule façon d'exister
C'est cela que je rejette de toutes mes fibres.
D'ailleurs qui "provoquent"-ils ? Et le peuvent-ils encore quand on ne jure plus que par ce qui est censé "déranger", et quand la "provocation" est devenu le mode d'expression de la bourgeoisie conservatrice ?
Il suffisait d'être un peu patient..le"vagin de la reine" a été vandalise..!! Après le "plug"de la Place Vendôme..peut on aller plus loin dans la provocation..même artistique!!l'emballage du Pont Neuf , en 1985 (de mémoire..!!) donnait de belles couleurs dans le coucher du soleil..on nous a transformé les jardins du Palais Royal en toilettes à ciel ouvert..mais ce qui me touche le plus est ce qui a été expose au jeu de Paume..un tel lieu..ou se sont écrites des pages de notre histoire..ce canon et ces coulées de penture rouge...je respecte les créations et les créateurs..les artistes..mais la..non.. Je ne peux pas..je ne vois que les otages décapités..une violence et une barbarie..j'avais la belle habitude de me rendre à Versailles..je m'y refuse..cette annee..beurk..fse
Vous n'allez tout de même pas, cher Frank, reprocher à un artiste d'être « provocateur », vous qui l'êtes si souvent ici (pour le plus grand plaisir de vos lecteurs et le mien en particulier) et encore cette fois-ci à propos des installations d'Anish Kapoor à Versailles !
Car je ne peux pas croire une seconde que vous fassiez vôtres les poncifs scandalisés que vous relayez et qui ont cours en France dès qu'il est question d'« art contemporain en général », et plus spécialement depuis qu'un peu de celui-ci s'installe de manière éphémère à Versailles. C'est pareil tout les étés : c'est précisément à ce moment-là que des personnes, manifestement plus habituées aux centres commerciaux des zones d'activités, veulent « voir Versailles » qu'on vient de défigurer sinon d'assassiner « avec nos impôts ». Par parenthèse, il semble qu'à Vaux-le-Vicomte (la semaine dernière) des femmes voilées accompagnant des enfants des écoles, et pourtant comme des mouches sur une soucoupe de lait, n'aient perturbé personne dans sa lecture des jardins de Le Nôtre.
Une chose est certaine en tout cas : vous n'aimez pas les installations d'Anish Kapoor. Et vous avez bien le droit. Sauf qu'il est bien téméraire de porter un jugement esthétique sur des oeuvres dont on n'a connaissance que par quelques photos de presse, à plus forte raison lorsqu'il s'agit d'oeuvres monumentales présentées dans tel contexte ou tel environnement et qui réclament l'engagement physique du spectateur. A ce compte-là, la cathédrale d'Amiens ou le Mont Blanc en carte postale, ce n'est pas terrible non plus. Il est en outre injuste d'affirmer qu'Anish Kapoor ne fait, comme ses prédécesseurs, que se servir de Versailles. Croyez-vous vraiment que si la réputation de l'artiste n'était pas établie et son travail reconnu internationalement (je ne parle pas du goût que l'on peut en avoir) il aurait le loisir, à la faveur de je ne sais quel copinage, d'exposer à Versailles ?
Quant au propos d'Anish Kapoor, votre réaction (« l'aspect le plus prosaïque du corps humain », écrivez-vous ! Que dites-vous de la cuisse de Jupiter ?) montre assez combien il est pertinent.
Enfin, je ne comprends pas votre dernière remarque. Quels ayants droit pourraient être fondés à se plaindre au sujet d'une oeuvre maltraitée après qu'elle soit tombée dans le domaine public ? A part une oeuvre protégée au titre des Monuments historiques bien sûr.
Bien cordialement.