Il se croit malin, ce matin, ce journaliste de RTL qui balaie d'un méprisant revers de main l' affirmation de François Bayrou selon laquelle «il faut sanctuariser l'Ecole».
Pourtant, Monsieur Bayrou a parfaitement raison.
Mais, bien sûr, comme d'habitude sur les médias pressés, on n'a pas pris le temps de comprendre.
On croit qu'il s'agit de transformer physiquement les écoles, collèges et lycées en bunkers avec grilles, sas, portiques et vidéo-surveillance.
Ces moyens matériels peuvent certes avoir une certaine utilité, ponctuellement, mais ils ne règleront jamais la question de la violence, qui n'est pas toujours importée de l'extérieur, pour la même raison que ce ne sont pas toujours "les autres" qui sont cause de la dérive de nos propres enfants, comme sont enclins à le croire tant de parents.
Je suis d'accord avec François Bayrou si je prends le mot "sanctuariser" dans un sens plus profond, plus essentiel.
Au chapitre 22, intitulé "La Citadelle", d'un essai sur l'enseignement que j'ai commis il y a une quinzaine d'années (*), j'écrivais ceci, qui traduit ma pensée d'hier et d'aujourd'hui sur cette question centrale de la place de l'Ecole dans la cité :
« J'ai bondi un jour en entendant Bernard Tapie suggérer de faire baisser les prix de revient des livres scolaires en y insérant de la publicité. Je n'ai rien contre Monsieur Tapie dont la vitalité a quelque chose d'entraînant qui me ravit toujours, mais là, franchement, il déraille (...)
Ce n'est pas seulement (...) affaire de purisme et d'esthétisme. C'est tout simplement qu'il est impossible de jouer une sonate de Scarlatti en laissant son poste de radio ouvert. L'addition de deux musiques étant une soustraction.
En tout cas, cette erreur de jugement de Tapie est bien représentative d'une idée dominate selon laquelle l'école doit être pénétrée - je dis, moi, en l'occurrence contaminée - par le monde extérieur. La volonté paraît louable; le résultat serait désastreux.
Car comment le comprendre, ce monde, s'il est envahissant, si on ne le quitte pas un instant, si on ne prend jamais le recul indispensable pour le " voir ", le pénétrer et, plus tard, le faire évoluer ?
Le rôle de l'école, autant qu'on le lui laisse jouer, c'est d'être un lieu clos, élevé, reculé, où tout apparait d'autant plus clairement qu'on y échappe à la confusion de l'instantané, du précaire, au tumulte des modes, aux engouements et aux répugnances irraisonnées et grégaires, à la pression de la foule.
Ce lieu de méditation et de formation doit, s'il ne veut pas disparaitre - je veux dire perdre sa spécificité, sa raison d'être - veiller jalousement sur son indépendance.
C'est au prix de cette sorte de retraite qu'il continuera de former les citoyens du monde.
A moins de cela, il fabriquera des consommateurs passifs d'idées toutes faites, d'images, de toujours plus d'images : des sujets.»
C'est à peu près cela, je pense, que M. Bayrou a dans l'esprit lorsqu'il parle de "sanctuariser" l'Ecole. C'est fondamental, et ce ne doit pas être repoussé sans réflexion.
Plus le monde extérieur pénètrera dans les écoles avec ses tentations matérielles, ses conflits idéologiques, ses divisions religieuses, plus la violence règnera. Il faudrait développer plus précisément ce point, mais qu'il suffise pour l'heure de dire que c'est l'apport essentiel de la laïcité.
(*) Tableau Noir, éditions du PANTHÉON, 1996.