Marine Le Pen vient d'être élue à la tête du Front National par une large majorité des militants de ce parti.
Elle succède à son père à la tête du parti qu'il a créé, maintenu en vie durant les 20 premières années, alors que les scores qu'il enregistrait étaient proches de zéro, puis fait prospérer, notamment à partir de 1986 et de l'instauration de la proportionnelle par François Mitterrand.
Ce dernier, après avoir embrassé le Parti Communiste pour mieux l'étouffer, fit tout ce qu'il put pour gonfler le FN qui, dans son esprit tacticien, devait nuire à la Droite parlementaire, comme le PC avait nui, entre 1958 et 1974, à la Gauche de gouvernement. L'opération, cynique mais efficace, réussit au delà de toutes espérances.
Comme dans le même temps la Droite mettait un point d'honneur à ne rien céder au FN et jurait ses grands dieux qu'elle n'avait rien de commun avec lui ( à la notable exception de Charles Pasqua ), le FN grandit dans un splendide isolement, cultivant avec tout le talent de son chef la posture de l'éternelle victime et de l'incompris qu'on baillonne.
Ce jeu de dupes dura jusqu'à ce 21 AVRIL 2002 où la gauche parlementaire, émiettée en une foule de candidatures à l'élection présidentielle, prit en pleine tête le boomerang qu'elle avait elle-même lancé : Le Pen éliminant Jospin ! Quel choc ! Quelle surprise !
Depuis ce jour mémorable, la Gauche comme la Droite ne savent plus très bien quelle attitude adopter en face de cet OVNI politique auquel profite aussi bien l'ostracisme que la médiatisation.
Inexorablement le FN s'enracine dans le Sud, le Nord et l'Est de la France. Sa capacité de nuisance électorale pour la Droite est démontrée, élection après élection, et explique pour la plus gande part les victoires dont la Gauche se targue d'être la seule responsable dans les scrutins locaux et régionaux.
Le remplacement de Jean-Marie Le Pen par sa fille Marine est, quoi qu'ils disent, un nouveau casse-tête pour les partis de gouvernement.
Sa jeunesse, sa vivacité d'esprit, son sens de la formule-choc, sa connaissance, certes parfois lacunaire, des dossiers économiques mais suffisamment solide pour faire illusion dans les médias toujours pressés, sont des dangers mortels pour eux.
Car, tout en maintenant le vieux fond idéologique qui est le ciment de son parti, la voici qui s'empare de thèmes qui n'ont jamais été ceux du FN et qui, d'ailleurs, font grincer les dents des plus traditionalistes de ses membres. Tout ce qui l'empêchait jusqu'ici de toucher un électorat des classes moyennes ou populaires, rebutées de façon rédibitoire par l'étroitesse dogmatique des vieux caciques héritiers du pétainisme, du catholicisme intégriste et des troupes coloniales, tout est bon pour elle : l'avortement, le PACS, la laïcité... Parlons en.
Il faut rester particulièrement vigilants.
Tant que le FN sera le défenseur auto-proclamé des "valeurs chrétiennes", tant que ses élus locaux voteront systématiquement des subventions aux associations cultuelles catholiques tout en refusant toute facilité aux musulmans, nous serons devant une utilisation purement tactique et politicienne de la laïcité, aux antipodes de la laïcité, et qui la menace de mort.
Comme Marine Le Pen, et comme une immense majorité de nos compatriotes, je suis radicalement hostile à ce que des musulmans, sous le prétexte qu'ils ne peuvent le faire ailleurs, envahissent l'espace public pour y faire leur prière ou pour imposer leur vision religieuse de la société.
Mais je suis tout aussi opposé aux manifestations publiques et aux interventions politiques de tous ordres des catholiques ou des juifs.
La laïcité est une organisation du vivre-ensemble qui exclut de l'espace politique et public ce qui relève des convictions privées, à commencer par les croyances religieuses. En faire une arme contre une partie de la population est un détournement grave d'une des plus positives spécificités de la République Française.
Je suis respectueux des personnes qui adhèrent au Front National ou qui le dirigent, parmi lesquelles, j'en suis convaincu, se trouve une très grande majorité de bons citoyens, sincèrement attachés à leur pays, à la liberté et aux valeurs de la France.
Mais je n'aurai de cesse de dénoncer une dérive et une récupération de la laïcité qui, si l'on s'y laisse prendre, achèveront de déchirer le tissu social de notre nation en pervertissant l'une de ses valeurs fondatrices.
Commentaires