La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 17 octobre 2002 où étaient présents : M. Cotte président, M. Corneloup Conseiller rapporteur, MM Joly, Pibouleau, Le Gall, Farge, Challe, Blondet, Pelletier, Roger, Palisse, Mme Ponroy, MM Arnould, Le Corroller, Mme Koering-Joulin, MM Beyer, Dulin, Pometan, Rognon, Chanut conseillers de la chambre, Mme de la Lance, MM Desportes, Ponsot, Soulard , Sassoust, Mme Caron, M. Samuel, Mmes Beaudonnet, Gailly, MM Valat, Lemoine, MMmes Menotti, Salmeron conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Davenas ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;

 

Après avoir entendu : M. le conseiller Corneloup en son rapport, Me Vergès, avocat du demandeur, Me Lyon-Caen de la société civile professionnelle Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez et Me Kiejman, avocats de la partie civile, et M. l’avocat général Davenas en leurs observations orales ;
L’avocat du demandeur, puis le demandeur lui-même, ayant eu la parole en dernier ;
Les parties ayant été avisées que l’arrêt serait rendu le 20 novembre 2002 à 14 heures ;

Après en avoir délibéré en chambre du conseil ;
Vu la décision de la commission de révision des condamnations pénales, en date du 25 juin 2001, saisissant la Cour de révision ;
Vu les articles 622 à 626 du Code de procédure pénale ;
Vu les avis d’audience régulièrement adressés aux parties et à leurs avocats ;
Vu les observations écrites déposées, pour le demandeur, par Me Vergés ;

Attendu que le dossier est en état ;

 

1 – Sur les observations écrites déposées les 15 et 17 octobre 2002 pour Omar Raddad :


 

Attendu que, par ces observations, le demandeur soutient, d’une part, que son droit à la présomption d’innocence a été méconnu en raison des propos tenus par un officier de police judiciaire et un expert ayant concouru à la procédure dans laquelle a été prononcée la condamnation dont il demande la révision et, d’autre part, qu’en violation du principe du contradictoire énoncé à l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, le "réquisitoire" de l’avocat général ne lui a pas été communiqué avant l’audience ;

Mais attendu qu’Omar Raddad, dont la culpabilité a été légalement établie au sens de l’article 6.2 de la Convention précitée, ne peut plus se prévaloir de la présomption d’innocence ;

Attendu que, par ailleurs, il résulte de l’article 625 du Code de procédure pénale que la Cour de révision statue à l’issue d’une audience publique au cours de laquelle sont recueillies les observations orales ou écrites du requérant ou de son avocat, celles du ministère public ainsi que celle de la partie civile ; que, le caractère contradictoire du débat étant ainsi assuré, aucune disposition légale ou conventionnelle, ni aucun principe général de droit, n’impose au représentant du ministère public de présenter ses observations par écrit et de les communiquer aux parties avant audience.

 

2 – sur le fond :

 

Attendu que, le lundi 24 juin 1991, des amis de Ghislaine Marchal, inquiets qu’elle ne réponde pas au téléphone alors que son absence avait été constatée à un déjeuner prévu la veille, ont alerté la gendarmerie après des recherches infructueuses effectuées par des agents de la société chargée de la surveillance de sa villa La Chamade, à Mougins ; que parvenus sur les lieux, les gendarmes ont appris que la villa avait été découverte, alarme débranchée et porte ouverte, en début d’après-midi et que Ghislaine Marchal demeurait introuvable malgré une visite complète de son habitation ; que, souhaitant poursuivre les recherches dans le sous-sol à usage de cave et de chaufferie dont la porte d’accès était fermée à clef, ils ont tenté d’ouvrir cette porte avec une clef trouvée dans la villa ; que, serrure ouverte, la porte a continué à résister ; qu’une forte poussée exercée par deux gendarmes a permis à l’un d’eux de découvrir qu’un lit pliant, posé sur le sol, faisait obstacle à l’ouverture ; que le militaire est parvenu à repousser le lit sans pour autant débloquer la porte, qui résistait toujours ; que le dernier obstacle à l’ouverture était constitué d’un tube métallique placé sous la porte, que l’un des gendarmes a réussi à chasser d’un coup de pied donné à l’aveugle ; que, dans le couloir du sous-sol, les gendarmes ont remarqué une porte, donnant accès à une cave à vins, sur laquelle était inscrit, avec du sang, "OMAR M’A TUER", puis, sur une autre porte permettant l’accès à la chaufferie, une seconde inscription "OMAR M’A T" ; que, dans ce dernier local, ils ont découvert Ghislaine Marchal, morte, allongée face contre terre, vêtue de son seul peignoir ensanglanté, les cheveux maculés de sang.

Attendu que la victime présentait à la tête des plaies ayant l’apparence de coups portés avec un instrument contondant pouvant être un chevron découvert près de la porte d’entrée, au cou, une plaie d’égorgement et sur le corps diverses plaies par arme blanche correspondant à une lame effilée de 15 à 20 cm de long et de 2 cm de large à double tranchant ; qu’une telle arme n’a pas été retrouvée sur les lieux ni par la suite lors de l’enquête ; que les principales blessures consistaient en des plaies transfixiantes des lobes du foie et une éventration, avec éviscération d’une longueur de quatorze centimètres ; que l’examen par les experts ayant pratiqué l’autopsie a montré qu’aucun des coups n’était à lui seul mortel, que l’agonie de Ghislaine Marchal avait duré 15 à 30 minutes et que la victime disposait de forces suffisantes pour apposer les inscriptions et bloquer la porte de l’intérieur ;

Attendu que les enquêteurs ont identifié la seule personne prénommée Omar dans l’entourage de la victime, comme étant son jardinier, Omar Raddad, qui a été appréhendé, le 25 juin 1991, à Toulon, au domicile de sa belle-mère, où il avait rejoint son épouse et ses enfants, le 24 juin au matin, pour célébrer un fête musulmane ; que, s’il a reconnu avoir travaillé le dimanche 23 juin chez Francine Pascal, voisine de La Chamade, il n’a cessé de nier être l’auteur du meurtre ;

Attendu que, par l’arrêt susvisé, la cour d’assises des Alpes-Maritimes a déclaré Omar Raddad coupable du meurtre de Ghislaine Marchal et l’a condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle ; que, le 9 mars 1995, la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés contre l’arrêt de condamnation et l’arrêt civil subséquent ;

Attendu que la commission de révision, saisie le 27 janvier 1999, par le condamné, a ordonné des investigations et, par décision du 25 juin 2001, a saisi la Chambre criminelle statuant comme Cour de révision ;

Attendu que le demandeur fait valoir :

- que le meurtre n’aurait pas été commis le 23 juin 1991, mais le lendemain ;
- que, le 23 juin, il y aurait eu d’étranges allées et venues à La Chamade et que l’on peut s’interroger sur le rôle de deux proches de la victime, sa femme de ménage, Liliane Receveau, et son fils, Christian Veilleux ;
- que, contrairement aux constatations antérieures, il aurait été possible au meurtrier de placer en équilibre le lit pliant contre la porte avant de la fermer en assurant ainsi son blocage intérieur ;
- que les conclusions des expertises, selon lesquelles les mentions accusatrices "OMAR M’A TUER" et "OMAR M’A T" sont de la main de Ghislaine Marchal, seraient erronées, comme le démontreraient deux nouvelles expertises, diligentées à l’initiative du requérant, excluant que la victime en fût l’auteur ;
- qu’enfin, la découverte, par les experts commis par la commission de révision, de plusieurs ADN masculins sur les portes et sur un chevron, ADN dont aucun n’est celui du demandeur, justifierait à elle seule la révision et de nouvelles investigations ;

 

I – sur l’avis technique relatif à la date du meurtre :

 

 

- Attendu que, pour démontrer que le meurtre de Ghislaine Marchal aurait été commis le 24 juin et non le 23, Omar Raddad produit un avis technique, en date du 10 juin 1995, du professeur Fournier, expert honoraire inscrit sur la liste de la Cour de cassation ; que ce praticien conclut que la date de la mort ne peut être fixée avec certitude entre le 23 au matin et le 24 vers 14 heures 15 heures, avec toutefois une datation plus probable dans la matinée du 24 ;
- Attendu que cet avis, fourni par un praticien auquel n’avaient été communiqués ni la totalité des expertises antérieures, ni l’ensemble des photographies réalisées lors de la découverte du corps, est entaché de contradiction interne puisque, après avoir affirmé que la présence des lividités cadavériques complètes, décrites par le premier expert, le 24 juin à 20 heures, après la découverte du corps, ne pouvait être constatée que vingt heures après le décès, le professeur Fournier aurait dû conclure que la mort ne pouvait être survenue le 24 juin ; que telle est d’ailleurs la conclusion du dernier collège d’experts désigné par la commission de révision, qui, au vu de la totalité des expertises et de l’avis du professeur Fournier, estime que la mort est antérieure d’au moins vingt-quatre heures au premier examen médical et qu’elle est donc survenue le 23 juin avant 20 heures ;
- Attendu qu’en cet état, l’avis du professeur Fournier ne peut être considéré comme élément nouveau ;

 

II – Sur les mises en cause de Liliane Receveau et de Christian Veilleux :

 

 

- Attendu qu’en premier lieu il est soutenu que Liliane Receveau, employée de maison de la victime, aurait menti sur son emploi du temps du 23 juin et qu’elle aurait disposé, après le meurtre, de ressources anormalement élevées ;
- Attendu que, si Liliane Receveau a admis devant la commission de révision avoir, lors de ses premières déclarations, donné des renseignements pour partie inexacts sur son emploi du temps, elle a fourni des explications précises sur les motifs l’ayant conduite à agir ainsi ; que, par ailleurs, rien n’est venu étayer les affirmations selon lesquelles elle se serait rendue à La Chamade au cours de la journée du 23 juin et aurait eu davantage de ressources financières après le crime ;
- Attendu qu’en second lieu, il est allégué par le demandeur que le fils de la victime entretenait de très mauvaises relations avec sa mère, qu’il aurait demandé à Liliane Receveau de ne pas parler de la disparition d’un coupe-papier et qu’il n’aurait pas fait état d’un journal intime tenu par sa mère ;
- Attendu qu’à l’exception de Mimoun Barkani, les témoins mentionnés dans la requête et entendus par la commission de révision ont tous indiqué que les relations entre Ghislaine Marchal et son fils étaient normales et que Christian Veilleux avait été très affecté par le décès de sa mère ; qu’ils ont démenti les propos que la presse leur avait attribués ;
- Attendu que seul Mimoun Barkani, oncle du condamné, a porté des accusations extrêmement graves, sans être en mesure de produire un quelconque élément de preuve de nature à les étayer ; qu’en outre, il a été incapable d’expliquer pour quelle raison il n’avait pas demandé à être entendu par les enquêteurs, le juge d’instruction ou la cour d’assises ; que rien ne corrobore ses déclarations tardives, lesquelles sont contredites par l’ensemble des témoignages recueillis au cours de l’information ;
- Attendu que, par ailleurs, l’affirmation, selon laquelle Christian Veilleux aurait demandé qu’il ne soit pas fait état de la disparition d’un coupe-papier est formellement contestée par Liliane Receveau, à laquelle un article de presse avait prêté ce propos, et qu’il n’a pu être établi que la victime tenait un journal intime ;
- Attendu qu’enfin, la présence d’une femme le 23 juin 1991au soir à La Chamade, évoquée par une seule personne, Michèle Paysan, n’a pas été démontrée, les confidences dont elle aurait été destinataire de la part de Christian Veilleux ayant été démenties par ce dernier ;
- Attendu qu’en conséquence, aucun élément nouveau ne vient conforter les accusations portées à l’encontre de Liliane Receveau et de Christian Veilleux ;

 

III – Sur le blocage de la porte :

 

 

- Attendu que la requête soutient qu’il était possible, pour quelqu’un quittant la cave, de mettre en place le système de blocage de la porte, le tube placé sur le lit ayant pu, après être tombé au sol, bloquer à son tour la porte ;
- Attendu que, cependant, une telle hypothèse s’oppose à la réalité, tout d’abord parce que le seul poids du lit pliant ne rend pas compte de la résistance du système de blocage à la poussée conjuguée de deux gendarmes lors de la première tentative d’ouverture, et ensuite parce que le tube métallique ne peut à lui seul être à l’origine d’un second blocage de la porte, son diamètre étant inférieur à l’espace entre le bas de la porte et le sol de la cave ; que ce tube empêchait donc l’ouverture parce qu’il avait été placé très précisément contre le chevron trouvé sur les lieux, de manière à faire office de cale ;
- Attendu que la reconstitution effectuée lors de l’instruction préparatoire a démontré que le système de blocage supposait la mise en œuvre des trois éléments, tube, chevron et lit, ce qui est confirmé par les constatations sur le sol, sur le tube ainsi que sur le chevron ; que toutes les tentatives effectuées par la défense, pour démontrer que la mise en place du système de blocage était réalisable par une personne quittant la cave, ont échoué ;
- Attendu que le requérant ne fait que remettre en question cet ensemble de constatations, sans apporter aucun élément nouveau ;


 IV  Sur les avis techniques relatifs aux inscriptions accusatrices :

 

 

- Attendu que, pour soutenir la thèse selon laquelle Ghislaine Marchal ne serait pas l’auteur des inscriptions l’accusant, le requérant fait produire deux avis techniques établis à sa demande par M. Gauthier et Mme Dumont, experts en écritures, qui n’ont ni l’un ni l’autre examiné les portes servant de support aux écritures mais ont travaillé sur photographies ; que M. Gauthier, qui a limité son observation à la seule inscription "OMAR M’A TUER" figurant sur la porte de la cave à vins, formule deux conclusions, l’une, catégorique, affirmant que Ghislaine Marchal n’est pas l’auteur des inscriptions, l’autre, plus nuancée, ne relevant aucune concordance probante entre l’inscription en question et les écrits de la victime ; que Mme Dumont, qui a examiné les photographies des deux portes conclut que les inscriptions litigieuses n’ont pas été écrites par Ghislaine Marchal, que l’inscription "OMAR M’A T" n’a pu être apposée dans le noir et qu’on peut penser que la main gauche inerte de Ghislaine Marchal a servi d’instrument scripteur ;
- Attendu qu’en l’état de ces deux avis, opposés aux conclusions des premiers experts, la commission d’instruction a chargé Mmes Bisotti et Ricci d’Arnoux de procéder à une nouvelle expertise ; que leur rapport, dont la première partie consiste en une étude de faisabilité, s’il conclut à l’impossibilité technique de comparer des lettres tracées par une personne écrivant dans les conditions de la calligraphie avec d’autres écrits réalisés, sur un support vertical avec du sang, par un scripteur à genou ou couché, n’exclut pas que Ghislaine Marchal soit l’auteur des inscriptions incriminées mais estime qu’il est impossible de l’affirmer ou de l’infirmer ;
- Attendu que, par ailleurs, l’examen en lumière rasante de la porte de la chaufferie a révélé la présence de caractères évanouis dont certains, désignant "OMAR", ont été tracés sous les inscriptions visibles et dont d’autres complètent l’inscription "OMAR M’A T" ; que cette découverte, loin d’accréditer la thèse d’un scripteur autre que la victime, est au contraire propre à établir que celle-ci était bien l’auteur des inscriptions ;
- Attendu qu’ainsi, l’élément nouveau invoqué n’est pas de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné ;

 

V – Sur les analyses génétiques :

 

 

- Attendu que, si la découverte d’empreintes génétiques masculines sur les deux portes servant de support aux inscriptions accusatrices, ainsi que sur le chevron, constitue un élément nouveau, il est impossible de déterminer, à quel moment, antérieur, concomitant ou postérieur au meurtre, ces traces ont été laissées ;
- Attendu que de nombreuses personnes ont pu approcher les pièces à conviction avant le meurtre et, faute de précautions suffisantes, après celui-ci ; que, dès lors, serait privée de pertinence toute recherche complémentaire sur les empreintes génétiques découvertes, comme sur celles qui pourraient l’être par de nouvelles investigations ;

 

D’où il suit que la demande en révision ne peut être admise ;

Par ces motifs,
REJETTE la demande en révision ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de révision et prononcé par le président le 20 novembre 2002 ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de Chambre